« Dessine-moi une maison »

16 décembre 2020 Par Marie F.

Regard d’une psychologue, citoyenne.

Quand le logement pérenne et salubre vient à manquer ou comment l’ordinaire vient faire trauma

Je suis psychologue et psychothérapeute depuis 25 ans. J’accueille dans ma consultation des adultes, des couples, des familles et des enfants.
Dans ma pratique ici, spécifiée par l’insularité, je suis interpellée dans un questionnement nouveau au sujet de l’habitat. Ce questionnement n’est pas une nouveauté en soi : hélas, partout de par le monde chacun peut voir comment le manque d’accès à un logement pérenne et salubre fait partie de « l’ordinaire » des sociétés que nous créons pour y vivre. Jusqu’à depuis peu dans l’histoire de nos sociétés contemporaines, existait une sorte de corrélation entre habitat et revenu. Celui qui « gagne sa vie » pouvait accéder à un logement sain, qu’il pourrait conserver s’il le souhaitait, et tout le temps où son travail lui permettrait de s’offrir cette sécurité. Cette corrélation sans être juste, car tout le monde n’est pas en capacité ou en possibilité d’accéder au travail, présentait une certaine cohérence. Que se passe-t-il alors quand cette logique vient à disparaître ? Quand malgré l’argent gagné ou les ressources financières prodiguées par les aides sociales à celles ou ceux en impossibilité de travail, l’accès au logement salubre et pérenne devient in-envisageable ?

« Dessine-moi une maison ».

Rappelons-nous quelques instants, la force du sentiment vécu, lorsque enfant, nous dessinions sous le regard curieux ou admiratif, le plus souvent bienveillant, du grand-parent assis à nos côtés, de papa, maman émerveillés de ce premier édifice érigé dans un coin de la feuille blanche. Vous souvenez-vous combien de temps le dessin était resté épinglé sur la porte du frigo ? Dès l’âge de deux ans l’enfant dessine « sa maison », sous des formes simples au début, arrondies, d’un seul trait de couleur mal habile, puis petit à petit, de façon plus élaborée : les formes, les plans, les couleurs, les perspectives, la transparence et les détails (fleurs, rideaux, tuiles…) La maison est un « espace mythique » avec lequel l’enfant vient nous parler de son sentiment de sécurité dans sa famille, et en lui. De ce qu’il y vit, de ce qu’il y désire, de ce qui l’angoisse. La maison est un refuge, le deuxième après le sein maternel et la tendresse des bras de son papa.
Qu’en est-il de cet espace de sécurité, également lieu des premières socialisations, quand, devenu adulte, il nous est hors d’accès par soustraction ?
La vie insulaire sur un petit territoire délimité et clos de 84 km² vient conditionner évidemment l’organisation de l’habitat. Les choix administrés sont une autre variable, non négligeable, puisque ce sont eux qui vont réglementer, promouvoir et soutenir l’habitat.

Témoignages :

(Par souci de confidentialité, les témoignages illustrant mon propos sont anonymes et sont des reconstructions verbales.)

« Nous sommes séparés depuis plus d’un an mais nous habitons encore sous le même toit, car je ne trouve aucun logement. Les enfants n’y comprennent rien …et puis c’est de plus en plus tendu entre nous…Il faut que ça s’arrête !»


« Je travaille ici depuis plusieurs années. J’avais un logement, mais j’ai appris par courrier que je devrais le quitter d’ici le mois de juin. Le propriétaire peut le louer mieux.  Je ne trouve rien. Des amis vont me dépanner, peut-être. Je sais pas si je vais pouvoir rester. Ça m’angoisse. J’ai fait ma vie ici. »


« Je suis venu travailler ici, on me proposait un poste. Les premiers mois j’ai eu accès à une sorte de logement de fonction, une grosse caravane. Mais j’étais prévenu : c’était jusqu’à l’été, après il fallait que je le libère. Depuis je galère à trouver quelque chose où m’installer avec les enfants. »


« Ça fait plusieurs nuits que je ne dors pas. Dans le mobile-home ça souffle fort les jours de tempête et puis il y a les arbres pas très loin. On n’a toujours rien trouvé alors ça dépanne mais j’en peux plus. Et puis on n’y a pas beaucoup de place. C’est difficile de recevoir nos amis et les copains des enfants. L’été ça va, mais après … Alors on dort mal. On est fatigué. On s’engueule. »


« On a fini par trouver cette petite maison ! Ça va pour nous trois. Mais c’est pourri de partout. Y a beaucoup de travaux. Je sais faire, un peu, mais pas tout. Je pourrais faire faire quelques travaux, ceux que je ne sais pas faire. On travaille tous les deux alors ça va. Mais les entreprises sont toutes très occupées par des gros chantiers. Alors on attend. Mais c’est pas cool… »


« Je suis dégoûté. On m’a parlé de logements, qui vont être construits à côté. Ça fait des années que je cherche à acheter. Mettre à l’abri ma famille. Je me suis renseigné. C’est hors de prix. Je ne pourrai jamais. Il faudrait trois fois mon salaire. J’y comprends plus rien, ça me rend dingue !! »


« Je galère à monter jusqu’à chez moi, physiquement c’est difficile avec ma maladie. Mais ils ont rien d’autre à me proposer. »

Traumatismes ?

Dans ma consultation, une situation sur deux s’organise autour d’un habitat qui fait trauma.
Un trauma est une blessure physique ou psychique infligée à l’organisme ou la lésion locale qui en résulte. Le traumatisme renvoie aux conséquences locales ou généralisées de cette lésion dans l’organisme de la personne. Sur le plan psychologique on distingue quatre catégories de traumas :
Le trauma lié à un choc, ce qui vient faire effraction brutalement et génère un choc émotionnel d’une telle intensité que l’organisme ne parvient pas à l’intégrer. C’est le plus évident de tous les traumas car il se voit immanquablement.
Un accident de voiture par exemple…
Le trauma lié à la carence d’un de nos besoins fondamentaux : la sécurité en tout premier lieu puisque c’est le fondement du développement de tous les êtres vivants.
Ne pas manger à sa faim par exemple...
Le trauma lié à « l’ambiance » ou l’environnement qu’il soit physique ou affectif. C’est le trauma le plus difficile à repérer car il est « ordinaire », au cœur de notre quotidien, le plus souvent invisible. Il détruit doucement par son travail de sape.
Vivre en présence d’un autre (parent, compagnon, enseignant, collègue) en permanence irritable ou colérique par exemple ...
Vivre avec une pollution sonore ou respiratoire permanente est un autre exemple ...
Vivre avec une menace morale, matérielle ou physique ...
Le trauma par disparition de ce qui « fait sens » : quand dans la vie d’un individu il y a disparition du sens de ce qu’il fait, ce qu’il vit, il fait alors l’expérience interne d’un réel déconnecté de la réalité. Cette déconnexion vécue en dedans de soi est source d’un profond désarroi. Elle génère un profond sentiment d’impuissance qui mènera, s’il n’est pas dépassé, à un sentiment de sans issue et de dépression.
Régulièrement faire une tâche demandée qui ne servira à personne, ne sera ni regardée, ni commentée, ni encouragée et jetée au panier en toute indifférence, en est un exemple…

Conséquences des traumas

Quelle que soit la forme de trauma qui vient percuter une personne, le traumatisme va s’exprimer très souvent par un ensemble de symptômes rentrant dans ce que l’on appelle le trouble de stress post-traumatique. Ces symptômes pourront aussi toucher des aspects plus spécifiques de la personne. On verra alors apparaître des somatisations, des troubles de l’humeur, de la personnalité, de l’alimentation, du sommeil, de la sexualité, une anxiété généralisée et même, pour les plus fragiles psychologiquement, la décompensation d’éléments psychotiques.
Dans quelles catégories feriez-vous rentrer les exemples issus de ma consultation ?
Dans toutes effectivement. Toutes les personnes vivant ce genre de situations précitées sont en situation de traumatisme lié à leur habitat.

Marie F.
Belle Ile en Mer- France Métropolitaine- Décembre 2020.