Décroissance à Belle-île, partie II

6 mars 2023 Par Jean-Luc Pasquinet

Déjà, le productivisme au XIXème siècle à Belle-île

 

Elle fut un grenier à blé du Morbihan sous l’Ancien Régime. Elle a vu l’essor de l’activité sardinière qui a pu attirer beaucoup de gens. Mais dès la fin du XIXème siècle, la crise sardinière était récurrente en Bretagne. A cette époque l’activité faisait vivre 40 000 personnes. On ignorait pourquoi les sardines disparaissaient périodiquement. La thèse de son déclin à cause de la surpêche semble aujourd’hui la plus valable, même si elle fut contestée au début du XXème siècle quand on pensait que « L’Océan <était> une matrice inépuisable ». Pourtant, il faut bien le constater, les usines se sont multipliées à l’excès à la fin du XIXème siècle, entraînant le triplement des barques, les paysans et surtout les paysannes furent appelés pour travailler dans l’industrie de la sardine. Mais si au début c’était une affaire française, la concurrence étrangère, est venue compliquer encore le problème. A cause d’elle il est devenu difficile d’augmenter les prix si la rogue était chère, rare le poisson et, « dans les années de crise, il leur faut vendre à perte. »

A Belle-île, la crise sardinière a commencé à partir des années 1880 et s’est poursuivie tout au long de la première moitié du XXème siècle entraînant la disparition progressive des onze sardineries existantes en 1881
Puis avec les Trentes Glorieuses vont commencer l’exode de sa population, l’arrivée des touristes et des résidences secondaires et la question du logement est devenue d’année en année davantage cruciale pour beaucoup d’insulaires.

A défaut de réquisitionner les résidences secondaires pour les louer, une solution serait la création d’une Maison d’accueil pour les insulaires qui veulent s’installer. Elle mettrait en relation, d’une part des propriétaires de terrain sur lesquels on pourrait édifier des habitats légers, mobiles et réversibles ayant un faible impact sur l’environnement et de l’autre des insulaires à la recherche d’une solution.
A propos de l’habitat léger, il convient d’évoquer les expériences sur d’autres territoires bretons comme à Plessé en Loire Atlantique Depuis le début du XXIème siècle un spectre hante l’Europe, le spectre de la décroissance. Le mot fait peur, ou dérange c’est selon, mais il ne laisse pas indifférent. Quel sens y mettent ses détracteurs et que signifie t’il pour ceux qui l’emploient ? Et surtout que voudrait dire la décroissance à Belle-île ?(Hy 1) ou à Commana dans le Finistère (Hy 2) ou encore dans le Morbihan (Hy 3). Encore faut-il à minima une volonté politique locale de permettre ce type d’habitat et viser une inscription dans les Plans Locaux d’Urbanisme (PLU) de « pastilles » dites STECAL permettant ce genre d’habitat notamment dans les zones agricoles ou naturelles (Hy 4). Certaines communes du continent, notamment en Bretagne, mettent aussi à disposition une réserve foncière communale permettant l’implantation d’habitats légers, réversibles ou mobiles.

L’association des Amis de la Décroissance de Belle-île a ainsi organisé une conférence débat le 4 novembre 2022 sur ce sujet avec comme intervenant Christian Sunt, objecteur de croissance membre du réseau HALEM (Habitants de Logements Éphémères ou Mobiles), partenaire des États généraux du Post urbain (EGPU). Les lecteurs et lectrices intéressés sont invités à aller sur le site du réseau HALEM (Hy 5) pour plus d’informations.

Par ailleurs, il serait aussi intéressant de réfléchir à l’habitat coopératif, où l’on partage certains équipements entre plusieurs foyers. Cet outil pourrait notamment être utilisé dans le cadre des opérations de réhabilitation de l’habitat ancien, comme suite au diagnostic établi à la demande de la Mairie de Palais par l’agence Urbanis Bretagne montrant l’insalubrité de nombreux logements dans le secteur correspondant au centre ancien : cf. : réunion du 2 décembre 2022 organisée par la Mairie de Palais vers les habitants, propriétaires ou locataires (Hy 6). Sachant aussi qu’un certain nombre de ces logements risquent d’être exclus de la location en raison des nouvelles dispositions en matière de lutte contre les passoires thermiques. Il s’agirait ici d’aider les propriétaires et locataires à rester dans les quartiers visés par cette opération et d’éviter les opérations de spéculation immobilière menées par des grands groupes du BTP comme hélas à l’emplacement de l’ancien hôpital qui aurait du être réservé en priorité à du logement social, soit en location soit en accession à la propriété.

Autre sujet prioritaire : l’agriculture. Il existe bien quelques maraîchers bio, mais qu’en est-il des autres productions ? Un constat c’est la difficulté d’accès à la terre pour les nouveaux. Pourtant il ne devrait pas être difficile soit de racheter les propriétés au départ de leurs propriétaires par la CCBI ou chaque commune et y installer- à la place – des gens soucieux de ne pas polluer, soit d’interdire l’agriculture productiviste.
Certes, dans ce domaine un travail difficile est en cours depuis plusieurs années au niveau foncier par la CCBI, les communes et des associations locales avec l’aide de Terre de Liens. Mais peut-on éviter que les PLU, approuvés ou en cours d’approbation limitent les capacités d’installation de nouveaux agriculteurs paysans, si l’accès au logement et à la possibilité de construire des ateliers de transformation et des points de vente sur place leur est dénié par des tracasseries administratives, quand ce n’est pas des élucubrations, provenant des services de l’État qui semblent pour certains oublier qu’ils doivent d’abord être au service des citoyens et que l’accès à la nourriture de tout un chacun ne provient pas de leurs bureaux bardés d’électronique.

Si tous les pesticides étaient bannis on pourrait même développer une biorégion à Belle-île.
Celle-ci entraînerait une réorganisation de toutes les activités autour de la question de l’eau, la montée du niveau de la mer et de ses conséquences, mais aussi la gestion de la ressource en eau potable.

Pour cela il faudrait remettre en cause l’agriculture productiviste et ses intrants chimiques.
Or, il n’est nulle part question de la contester. Tout au plus évoque t’on une « relocalisation » de l’activité laitière en construisant deux laiteries ; Ces deux projets semblent négliger les productions déjà existantes en bio ou en conversion bio conduites par de petits producteurs-transformateurs (en lait de vache ou de chèvre), mais la relocalisation ne consiste pas qu’à rapatrier des activités parties ailleurs. C’est aussi poser la question de ce que l’on produit, et pourquoi on le produit, en l’occurrence encourager l’agriculture biologique et une relative autosuffisance alimentaire.

On pourrait imaginer un retour de la culture du blé, la construction de moulins (il y en a eu jusqu’à une vingtaine à Belle-île au début du XXème siècle) avec cogénération, la conservation d’un élevage adapté aux maintien de la biodiversité des prairies naturelles, un encouragement au maraîchage, un essor de la vigne et des activités autour des fruitiers, dans le cadre de l’agroforesterie. Viser l’autonomie alimentaire.

Quant on considère la physionomie de l’île, on peut trouver certaines constantes, par exemple l’importance des friches, l’absence de la culture du sarrasin…

Dans la commune du Palais il y avait encore en 1921, 16,82 % de terres en friche dans celle de Sauzon environ 48 %. L’extension des terres cultivées varie à travers les siècles car Belle-Ile à subi de nombreuses incursions de pirates et beaucoup souffert des guerres de Louis XIV et Louis XV. »
Par conséquent, la décroissance pourrait être une occasion de se demander quoi faire des friches, soit les travailler quitte à les réquisitionner ce qui pourrait entraîner une propriété d’usage de ceux qui les exploiteraient en attendant que les propriétaires acceptent de s’en dessaisir ou de s’en occuper, soit les laisser en l’état.

La croissance n’a amené que désolation sur l’île, pollutions, stress hydrique en été, problèmes d’assainissement, diminution de la réserve halieutique, déchets, … Plutôt que de la remettre en question les Autorités préfèrent parier sur une croissance infinie du tourisme alors qu’il faudrait instituer des quotas, interdire aux touristes le transfert des automobiles sur l’île, etc…

 

 

Quid du projet politique de la décroissance ?

 

Nous avons déjà évoqué la nécessité de « décoloniser notre imaginaire» pour mettre en œuvre un autre imaginaire articulé autour de la sobriété et des relations humaines.
L’autre idée prise chez Cornélius Castoriadis, un précurseur de la décroissance c’est la démocratie. Pour ce dernier la démocratie ne peut être que directe. Elle n’est pas la démocratie parlementaire née au XVIIIème siècle en Europe qui n’est qu’une démocratie oligarchique, mais désigne plutôt celle qui est née en Grèce antique, voire peut-être au paléolithique. Ce qu’il faut en retenir c’est que les lois viennent des hommes et pas de Dieu, et qu’il faut se rapprocher d’un système où ce sont les hommes qui produisent les normes le plus directement possible.

Voilà quelques pistes de décroissance à Belle-île en mer, on pourrait imaginer beaucoup plus de mesures, mais seuls les insulaires peuvent en décider démocratiquement et elles pourraient nous surprendre. Pour l’instant nous ne pouvons que continuer de critiquer la croissance et son monde.

 

 

 

ALD (Amis de la décroissance) – BI

 

 

Quelques liens Internet (Hy n) indiqués dans le texte :

(Hy 1) : https://hameaux-legers.org/projets-accompagnes/plesse

(Hy 2) : https://www.eco-bretons.info/a-commana-29-un-hameau-dhabitats-legers-bientot-installe/

(Hy 3) : http://www.caue56.fr/wp-content/uploads/2018/07/AG_-CAUE-56_Presentation.pdf

(Hy 4) : https://cooperative-oasis.org/articles/habitat-leger-une-solution-pour-la-vie-collective-et-ecologique/

(Hy 5) : http://www.halemfrance.org/

(Hy 6) : https://www.ouest-france.fr/bretagne/le-palais-56360/le-palais-l-etat-du-parc-immobilier-prive-du-centre-ville-est-alarmant-ef0ab78c-72ec-11ed-9b0a-62098183c0f7