Souple le vélo!

Vélo (II) : une chance pour Belle Île !

25 février 2023 Par Marc Suquet

A Belle île, le développement du vélo sonne comme une évidence. Les distances sont réduites et les côtes, même si parfois dures à avaler, restent modérées et bien loin du col du Tourmalet et ses 2h d’escalade cycliste. L’appui d’une assistance électrique rend les montées beaucoup plus sympathiques comme les trajets « vent debout » qui pointent fréquemment leur nez et tout particulièrement durant la saison hivernale. Et pourtant, aucune véritable piste cyclable, sur laquelle les vélos sont séparés des voitures, n’existe encore à Belle île ! A l’initiative des collectivités, le Schéma Directeur Vélo (SDV) a été signé le 14 décembre 2021. Il dessine une stratégie vélo choisie pour Belle Île, utilisant en grande partie les voies secondaires sur lesquelles les cyclistes sont appelés à cohabiter avec les automobilistes.

Si elle reconnaît à ce travail des aspects positifs comme le fait d’enfin prendre en compte la circulation des vélos sur notre île, l’association Belle Île en Vélo, présente aux différentes réunions du SDV, n’a pas réussi à faire admettre que la sécurité passait par la séparation des voitures et des vélos. En effet,

Fig. 1. Évolution de la mortalité en fonction de la vitesse de la voiture (Source : Cerema d’après Groupe de travail interdisciplinaire sur les accidents mécaniques (1986) ; Walz et al. (1983) et le ministère des Transports suédois (2002)).

un cycliste a 100% de risques d’être tué lors d’un choc avec une voiture circulant à 60km/h ou plus (Fig. 1). A Belle île, la vitesse des voitures est limitée à 80km/h sur les routes, soulignant le danger couru par les cyclistes circulant sur une voie commune avec les voitures.  

A partir d’une vitesse de 70km/h, le CEREMA (Centre d’Études et d’Expertises sur les Risques, l’Environnement, la Mobilité, l’Aménagement) préconise la construction de pistes cyclables pour une circulation des vélos en toute sécurité.

Hors agglomération, ce qui est le cas le plus fréquent à Belle île, les collisions entre un cycliste et un autre véhicule sont responsables de plus de 50% des décès (catégories « collision entre un cycliste et un autre véhicule » et « accident avec au moins un véhicule en déplacement »). La mortalité hors agglomération a augmenté de 37% en 2022, contre 7% en ville. En cause, la vitesse des voitures, la mortalité des cyclistes ayant progressé dans les départements qui ont fait le choix de relever leur vitesse à 90km/h. Les accidents de cycliste seul et sans obstacle ne représentant que 11% des victimes. En campagne, le danger vient donc bien des autres véhicules et notamment de la proximité avec les voitures. Il faut le répéter: la seule carrosserie d’un cycliste, c’est son casque !

D’autre part, l’utilisation de voies secondaires comme préconisé dans le cadre du SDV, allonge les distances parcourues. C’est le cas, par exemple, du trajet Locmaria-Palais, dont le nombre de kilomètres est augmenté de 25% lorsque les voies secondaires sont utilisées, en comparaison avec le CD25. Une constatation faite au détriment du cycliste, pas ou modestement équipé d’un moteur. Enfin, le manque d’entretien des voies cyclables du SDV a pour conséquence la rencontre des cyclistes avec de multiples dangers comme les trous, ornières, gravillons…. Un patchwork de ces sources d’accident est ponctuellement retrouvé sur les voies cyclables, parfois aggravé par la présence d’eau le plus souvent en hiver et obligeant, dans certaines occasions, à descendre de vélo. Il reste à espérer que les travaux programmés dans le cadre du SDV effaceront ces multiples dangers.

L’absence d’arguments contre les pistes cyclables

Les arguments le plus souvent opposés à la mise en place de pistes cyclables ne sont pas justifiés :

  • « Les pistes cyclables, c’est cher » : les estimations faites dans le cadre du SDV montrent qu’une véritable piste cyclable mise en place entre Bangor et Le Palais coûterait 1,1 million d’euros (SDV, 15 février 2021). Un coût qui peut impressionner en première lecture mais beaucoup moins lorsque l’on sait que le prix d’un km de piste cyclable est compris entre 100 000 et 1 million d’euros, selon la difficulté rencontrée, alors que le montant déboursé pour un km de route destiné aux voitures est de plusieurs millions à 100 millions d’euros. L’aide apportée par les assemblées départementales et régionales est en moyenne de 30% du montant pour chacune des deux, un chiffre à affiner selon chaque projet. Il reste donc près de 500 000 euros à la charge des deux municipalités en début et en fin de piste cyclable. Un tel montant est à la portée des assemblées de Belle Île qui se proposent par ailleurs d’investir 5,5 millions d’euros dans la réhabilitation du complexe sportif du Gouerch, dont l’intérêt est évident pour le développement du sport mais dont le montant est nettement plus conséquent. D’autre part, des aides sont apportées par le gouvernement dans le cadre des plans vélo successifs : depuis 2019, l’État a participé au financement de 1 000 projets d’infrastructures cyclables et un plan supplémentaire de 250 millions d’euros a récemment été annoncé dont 200 millions consacrés aux infrastructures. Enfin, la dépense moyenne d’un touriste à vélo est de 68 euros/jour contre 55 pour un touriste classique. Plus globalement, une dépense de 1 euro dans le secteur du tourisme à vélo générerait 2,7 euros de retours, en intégrant les impacts directs et indirects.

  • « Les pistes cyclables, ça augmente l’artificialisation des sols » » : il est inutile de le nier, tout aménagement a un impact sur l’environnement. La France perd l’équivalent de la surface d’un département de terres agricoles en 10 années. Les conséquences sont importantes : perte de terres agricoles, lessivage des sols, augmentation du réchauffement climatique, perte de la biodiversité…. Mais, les pistes cyclables sont aujourd’hui responsables de seulement 0,2% des surfaces artificialisées. Multiplier par un facteur de 3 le nombre de déplacements à vélo nécessiterait un réseau de 100 000 km de pistes cyclables, représentant ….. 0,7% seulement des surfaces artificialisées. L’impact des pistes cyclables sur l’artificialisation, y compris dans un scénario de fort développement, reste donc très limité. De plus, la priorité accordée à la voiture renforce l’étalement urbain et par conséquent, la construction de routes et l’artificialisation des sols. Le vélo induit une vie économique de proximité, sobre en terme d’artificialisation. Une question écrite au gouvernement a été déposée par Jean Marc Zulesi, député LREM, proposant de ne plus inscrire les pistes cyclables dans le décompte des sols artificialisés en raison du rôle reconnu du vélo dans la lutte contre le dérèglement climatique.

  • « Les pistes cyclables, ça ne sera pas utilisé » : l’intérêt du vélo dépasse aujourd’hui le transport traditionnel d’un seul passager. La « bécane » a su s’adapter à des usages très différents. En dehors des vélos classiques comme l’urbain, le sportif ou le tout terrain, de nouvelles catégories ont été imaginées, s’adaptant à la demande : vélo cargo, vélo couché ou encore vélo à trois roues. Ces adaptations permettent le transport de nouvelles catégories de personnes comme les enfants, les personnes âgées ou handicapées. Aux Pays Bas, 16% des déplacements des personnes à mobilité réduite sont effectués à vélo. Elles soutiennent également l’utilisation du vélo dans un cadre professionnel, non seulement pour le transport rapide d’un salarié en milieu urbain, mais également dans le cadre de livraisons ou encore pour le travail de certaines catégories de travailleurs comme les policiers ou les sages femmes. Le corbicyclette, un corbillard vélo électrique, peut être utilisé lors de funérailles. Enfin, le chasse neige se fait aussi vélo.  La déclinaison du vélo vers des modèles adaptés à ces nouveaux besoins participe à l’essor de ce moyen de transport. De plus, c’est l’infrastructure qui fait l’utilisation et non l’inverse. On peut en donner un exemple local : certains parents dont les enfants fréquentent les collèges de l’île, leur interdisent d’aller en vélo à l’école en raison du danger couru. Le manque de sécurité constitue l’un des freins principaux au développement du vélo sur notre île comme ailleurs.

Une piste cyclable Palais-Bangor

Fig. 2. Compilation des résultats du baromètre des villes cyclables 2021 pour les communes de Bangor, Le Palais et Locmaria (Source https://barometre.parlons-velo.fr/2021/palmares/#12.92/47.30122/-3.12747 ).

A Belle Île, la situation actuelle du vélo  n’est pas bonne.

On en veut pour preuve le classement par le baromètre des villes cyclables de 2021, de trois communes sur quatre en catégorie F, c’est à dire défavorable (la commune de Sauzon n’est pas notée; Fig. 2). Cette opinion est exprimée par un large panel de 50 à 90 contributions pour chaque commune.

Selon une enquête menée en 2019 par la Communauté de communes de Belle ile en mer (CCBI; Fig. 3), 28% des

Fig. 3. Modes de déplacement utilisés par les touristes lors de leurs déplacements sur Belle île (Source https://fr.calameo.com/read/006337070e05d1b3bf29b?authid=4wPSvwDi2fvP).

touristes visitant Belle île, ont utilisé un vélo, électrique ou mécanique, pour se déplacer.

L’enquête menée en 2022 par le Centre Permanent d’Initiatives à l’Environnement (CPIE) de Belle île, « Santé environnement à Belle île en mer, enquête grand public », montre que 45% des 208 personnes interrogées, dont 80% sont des résidents principaux, utilisent souvent ou très souvent le vélo pour des déplacements de moins de 5km. Le vélo est donc un mode de déplacement essentiel sur l’île, autant pour des usages touristiques que journaliers.

 

Une enquête réalisée par la CCBI durant l’été 2020 montre que 92% des personnes interrogées jugent la sécurité du vélo insuffisante sur l’île (source : Schéma Directeur Vélo, Étude de faisabilité, résultats présentés à partir de 89 réponses web). Un constat implacable, confirmé par les échanges réalisés sur les itinéraires vélo avec les pratiquants rencontrés.

Fig. 4. Enquête CCBI 2020 (source : Schéma Directeur Vélo, Étude de faisabilité, résultats présentés à partir de 89 réponses web).

La même étude montre que plus de 70% des personnes interrogées estiment que la meilleure façon d’améliorer la sécurité des cyclistes sur l’ile est la création de réseaux cyclables séparés de la circulation automobile (Fig.4).

Le vélo représente une véritable chance pour un développement durable de Belle Île. Une solution qui coche les cases de l’écologie, de l’économie, de la santé, de la convivialité mais aussi de problèmes liés à l’encombrement des chaussées et des parkings (sur une place de voiture on peut garer jusqu’à 10 vélos ).

L’association Belle Île en vélo préconise la mise en place de véritables pistes cyclables sur lesquelles les vélos sont séparés des voitures, par souci de sécurité. Le premier axe à équiper est celui qui rejoint Le Palais à Bangor, pour de nombreuses raisons :

  • Le Palais est le port d’arrivée par où transitent toutes les personnes se rendant sur l’île,

  • De nombreuses personnes travaillent à Palais,

  • Cette piste cyclable desservirait plusieurs services situés à la périphérie de Le Palais, comme le collège, les cabinets infirmiers, un super marché, la zone industrielle de Merezelle,

    Fig. 5. Enquête CCBI 2020 (source : Schéma Directeur Vélo, Étude de faisabilité, résultats présentés à partir de 89 réponses web).

  • La distance relevée entre Le Palais et Bangor est de 4,7 km, une distance favorable à l’utilisation du vélo pour se rendre à son travail et qui doit être inférieure à 10 km pour un usage journalier ,

  • Bangor est un bourg dynamique, dont le marché du dimanche matin constitue un véritable pôle d’attraction,

  • Des services communs à l’ile sont situés à Bangor comme la crèche ou le Service d’Éducation Spéciale et de Soins à Domicile (SESSAD),

  • La piste cyclable Palais-Bangor fournira un accès sécurisé à la côte sauvage,

  • Enfin, cet axe est le premier demandé par les personnes interrogées dans l’étude réalisée durant l’été 2020 par la CCBI : « Enquête sur la pratique du vélo » (Fig. 5).

D’autre part, des expérimentations de nouveaux dispositifs de circulation sont à mettre en place, afin d’en mesurer l’intérêt. La ville de Quiberon teste ainsi l’utilisation de chaucidous ou chaussées à voie centrale banalisée, depuis 2021, un dispositif qui assure un déplacement sécurisé aux cyclistes.

En conclusion, le développement du vélo constitue une véritable opportunité pour Belle île par son apport en matière de santé, la simplicité de ce moyen de transport, la diminution de l’encombrement des routes et parkings et l’absence de pollution générée. Une opportunité qui ne pourra se confirmer sans la mise en place de véritables pistes cyclables sur lesquelles les cyclistes sont séparés des automobilistes. La première piste à équiper est celle rejoignant Bangor à Le Palais mais nous appelons de nos vœux tout aménagement cyclable visant à développer l’utilisation du vélo dans les conditions optimales de sécurité. Plusieurs régions françaises ont pris ce tournant en faveur du vélo. Belle Île restera t-elle à l’écart de cette démarche de bon sens ?