Démocratie nationale et démocratie locale sont dans un bateau….

4 décembre 2024 Par Pichenette
« Déesse Démocratie » est aussi le nom d’un bateau à la mémoire d’une statue éphémère de la Place Tien-An-Men…

Démocratie nationale et démocratie locale sont dans un bateau….

Elle en prend plein la gueule, ces temps ci, la démocratie ! Uppercuts d’un coté, coups bas de l’autre, on chercherait à l’envoyer au tapis que l’on n’agirait pas différemment. Et pourtant, l’idée est belle puisqu’elle est celle d’un régime politique dans lequel le pouvoir appartient au peuple qui l’exerce directement ou par l’intermédiaire de ses représentants. Un régime qui repose sur la participation citoyenne, la liberté d’expression, l’égalité devant la loi et le respect des droits fondamentaux. Bref, le rêve ! Mais un rêve qui montre ses limites, décrites ici au plan national mais aussi local.

Au national : cause toujours tu m’intéresses

Pour s’en convaincre, remontons en 2005 et voyons quelques uns des « gnons » que la démocratie a pu encaisser au niveau national.

2005, referendum sur la Constitution européenne : troisième referendum sur un traité européen et dans ce cas sur le projet de Constitution européenne, mais le premier à être rejeté et à plus de 54% . Et pourtant, le combat était inégal, les partisans du « oui » ayant disposé de 71% des interventions dans les médias télévisés entre janvier et mars. Deux ans après le rejet du texte, le traité de Lisbonne en reprend les principaux éléments. Valéry Giscard d’Estaing, l’un des auteurs majeurs de la Constitution, avoue lui même « Dans le traité de Lisbonne, rédigé exclusivement à partir du projet de traité constitutionnel, les outils sont exactement les mêmes. Seul l’ordre a été changé dans la boîte à outils ». Sous la présidence de Nicolas Sarkozy, le gouvernement français se garde bien de proposer un nouveau referendum et le traité est ratifié par voie parlementaire après une révision de la Constitution. Selon un sondage Ifop effectué en 2015, les français auraient voté non à 62% si la même question leur avait été posée une deuxième fois . Presque 20 ans après, aucun referendum national n’a été mis en place.

Manifestation des Gilets jaunes (Wikipedia)

2018 : Gilets jaunes : si des violences peuvent être attribuées à certains manifestants, les actes de violence exercés contre les manifestants sont d’un niveau inédit en France, justifiant les inquiétudes des Nations Unies, du Défenseur des droits et du Conseil de l’Europe sur l’usage excessif de la force en France .

Gaz lacrymogène, nassage des manifestants, utilisation d’armes de guerre créant un climat de peur généralisée, blessures répétées aux yeux ou aux mains, la généralisation des violences policières contribue à dissuader certains citoyens de manifester. Et pourtant, la libre communication des pensées est reconnue dans la Déclaration des droits de l’homme (article 11) et la manifestation inscrite dans le droit français depuis 1935 .

2018, Grand débat : le mouvement des Gilets jaunes débouche sur la rédaction des cahiers de doléance : 200 000 contributions, insérées dans 20 000 cahiers de doléances. Après l’annulation de son intervention liée à l’incendie de Notre Dame de Paris, le président Macron promet de revenir devant les français. Et puis, …. plus rien ! Près de 80% des cahiers ont été numérisés mais demeurent inaccessibles, confirmant le grand écart entre les promesses et la réalité. Si le gouvernement de Michel Barnier promet de ressusciter ces documents, il serait prudent d’attendre la réalisation pratique de cette proposition avant de s’en réjouir.

2020, pandémie de Covid : Prééminence du conseil de défense sur le Covid et adoption du secret défense sur les débats, manque de transparence sur ses décisions, restrictions dans les déplacements, suspensions de contrats de travail de soignants non vaccinés, interdiction de manifester suspendue deux semaines plus tard par le Conseil d’Etat, restrictions dans les réunions et du droit de visite allant jusqu’à l’inexcusable impossibilité d’accompagner les mourants. Ces obligations font passer la France, dans le classement annuel de la démocratie, de « Démocratie à part entière » à « démocratie défaillante » . En 2021, la Défenseure des droits rappelle que « les mesures consistant à restreindre une liberté fondamentale ne peuvent être qu’exceptionnelles et, dans tous les cas, strictement nécessaires et proportionnées ».  Un effet cliquet balayé par l’adoption des mesures d’état d’urgence dans le droit commun dans le cadre de la loi anti-terroriste de 2017.

2020, Convention citoyenne pour le climat : en avril 2019, Emmanuel Macron s’engageait sur le résultat de la Convention : « Ce qui sortira de cette Convention, je m’y engage, sera soumis sans filtre soit au vote du Parlement, soit à référendum, soit à application réglementaire directe ».

Convention citoyenne pour le climat (Wikipedia)

Mais sur les 149 mesures proposées, seules 15 seront reprises telles quelles par le gouvernement. Confirmant l’enterrement de leur travail, les membres de la Convention attribuent une note de 3,3/10 à la manière dont le gouvernement a repris leurs mesures.

2024, choix du premier ministre : le 5 septembre, Michel Barnier, membre du parti arrivé quatrième aux élections législatives, est nommé premier ministre. Un choix décrit comme « un bras d’honneur aux français ». Dans toutes les démocraties, c’est la coalition arrivée en tète des suffrages qui est appelée à former un gouvernement et non celle qui a perdu l’élection.

On pourrait prolonger ce triste état des lieux de la démocratie en France par plusieurs éléments complémentaires : 80% de la presse française aux mains de 9 milliardaires et une école de journalisme devenue propriété de ces mêmes milliardaires, conditionnement de l’attribution de subventions aux associations à la signature d’un Contrat d’engagement républicain autorisant un contrôle poussé de l’Etat sur leurs actions, suspension provisoire de l’agrément de l’association Anticor bloquant sa lutte contre la corruption, usage d’ampleur du 49.3 attribuant un poids démesuré à l’exécutif ou encore obstruction à l’Assemblée nationale de la niche parlementaire d’un groupe d’opposition.

Ces constatations autorisent la Défenseure des droits à exprimer des inquiétudes quant aux « risques d’atteinte aux droits et libertés qui fragilisent notre démocratie », fournissant en exemple la stigmatisation inquiétante de la Ligue des droits de l’homme. Confirmant ces inquiétudes, un sondage réalisé par Opinion Way montre que les 2/3 des français estiment que la démocratie ne fonctionne pas bien en France. Et pourtant, les risques d’une telle constatation sont énormes : désaffection des urnes, confiscation du pouvoir, clientélisme, corruption et évolution vers un système politique autoritaire prétendant être la seule solution face aux défis essentiels que les régimes démocratiques n’ont su maîtriser. On rappellera que moins de la moitié de la population mondiale vit dans un pays considéré comme une démocratie et que l’état de la démocratie est en régression.

Au local : une dynamique de terrain souvent négligée au delà

A Belle île, la démocratie locale est une réalité. Près de 150 associations sont dénombrées sur l’île soit 267 pour 10 000 habitants, un chiffre largement supérieur à la moyenne nationale (203).

Belle ile (Wikipedia)

Un livret associatif, publié grâce à la volonté de quelques élus, souligne la variété des structures existantes (Gazette de Belle ile, n°495. Associations : mode d’emploi). Tenu à bout de bras par « le coin des assos », composé de cinq élus motivés qui souhaitent promouvoir les associations îliennes, le forum des associations rassemble à chaque rentrée scolaire une quarantaine de structures. La récente mise en place de l’application « Mon village » favorise la diffusion d’événements associatifs.

A l’occasion des municipales 2020, une liste « La démocratie c’est vous » est proposée aux suffrages des palantins. Elle affiche une série de valeurs liées à la démocratie participative : réunions publiques pour établir un programme, positionnement de chacun choisi collectivement, recherche de l’intérêt général et du bien commun. La liste rassemblera 25 % des votants. Régulièrement, des manifestations sont organisées sur les quais de Palais, rassemblant jusqu’à 230 personnes, comme dans le cas de l’action contre la réforme des retraites de janvier 2023. Un café citoyen se réunit depuis deux années au bar La godaille de le Palais, un espace où chacun peut discuter du sujet qui lui est cher : féminisme et insularité, la chasse, le développement du vélo ou encore la démocratie …. autant de thèmes abordés et participant à une réflexion participative sur la vie à Belle ile .

Trente années après sa dernière version, un conseil municipal des jeunes est de nouveau installé en novembre 2022 à la mairie de le Palais. Une bonne initiative, favorisant l’introduction, pour les jeunes, à la gestion de la citée et qui les a conduits jusqu’à se rendre à l’Assemblée Nationale. On aimerait pourtant mieux connaître les travaux de ce conseil dont on peut espérer un optimisme et une fraîcheur devant les difficultés liées à la tâche. Par le passé, un conseil municipal des jeunes avait également été mis en place par la municipalité de Sauzon. A Locmaria, seule commune de l’île à l’avoir proposé, un conseil des sages réunissant une dizaine de personnes de plus de 60 ans, a été mis en place durant la précédente mandature. Limité à un rôle consultatif, le conseil était chargé de proposer une vision d’avenir à la commune. Mais le changement de l’équipe municipale met un terme à l’expérience sans qu’elle ait eu la possibilité de proposer un projet construit (Gazette de Belle île, n° 493. Vie locale : citoyen un jour, citoyen tous les jours). Enfin, la possibilité d’assister en différé au conseil communautaire ainsi qu’à celui de quelques mairies, grâce aux enregistrements vidéos réalisés bénévolement, est un élément favorable au développement de la démocratie locale.

Si la démocratie locale est tenue à bout de bras par des individus volontaires et engagés, elle ne fait pas encore partie de la culture de certaines assemblées de l’île et tout particulièrement de la Communauté de communes. Difficulté à obtenir un rendez vous, absence de réponse aux mails et courriers, déficit d’informations, manque de considération, impossible disponibilité de moyens communs comme la salle Arletty  ou absence de travail en coopération sont le lot commun des militants de la démocratie locale. Des associations soulignent cette difficulté à être consultées. Et pourtant la volonté, la compétence et la dynamique sont présents chez ces volontaires. Ce blocage envers les associations locales est un terrible gâchis d’énergie, préjudiciable à la mise en place d’un développement réfléchi de l’île qui aboutit à tendre inutilement les relations entre les parties.

Plus récemment, la commande de la CCBI envers le Codepa (COmité de DEveloppement du Pays d’Auray) pour la mise en place d’une concertation citoyenne, pourrait impulser une nouvelle dynamique locale. La feuille de route est fixée par la CCBI : mobiliser l’intelligence collective et rapprocher élus et habitants. L’objectif  est d’identifier les enjeux favorisant le maintien de la vie à l’année. Le travail est divisé en trois thèmes : logement, mobilités, agriculture et alimentation. Usagers comme associations sont invités à formuler leurs souhaits. A l’issue du travail, la démarche ne devrait porter ses fruits que si la réflexion est entendue et prise en compte avec sincérité par les élus. Sans le respect de cette condition, on en restera à l’éternel, cause toujours tu m’intéresses. On aura soulevé le piston de la cocotte sans que la pression ne soit redescendue. La prolongation de cette initiative par la création d’une assemblée citoyenne pérenne dont l’objectif est de nourrir efficacement les élus par ses propositions, est indispensable à une véritable émergence de la démocratie locale.

Les outils soutenant la démocratie locale sont nombreux et efficaces : consultation visant à recueillir l’avis des habitants, co-élaboration de projets, outils de signalements de problèmes de voirie, budget participatif permettant aux habitants de proposer et de voter pour des projets locaux d’investissement prolongés par une journée citoyenne durant laquelle les habitants se mobilisent pour réaliser ensemble le projet sélectionné, visite de quartier durant laquelle élus et habitants sillonnent les rues afin de repérer ensemble les problèmes de terrain mais aussi possibilité de révoquer le mandat d’un élu ou encore référendum d’initiative citoyenne  … L’utilisation d’Internet soutient le développement de la démocratie locale tant par le travail en réseau que par l’accès à l’information. L’emploi de cette panoplie d’outils facilite la mise en place d’une véritable démocratie participative, un stade plus avancé de la démocratie locale et fondé sur le renforcement du rôle des citoyens à la prise de décision dans le cadre d’un projet de territoire. Aux élections municipales de 2020, 66 listes citoyennes ont été élues en France dont le bilan restera à établir à la fin de leur mandat.

Conclusion : démocratie nationale et locale sont dans le même bateau….

La démocratie ne se réduit pas au seul vote. Des échéances électorales scrupuleusement observées ne sont pas la garantie que les citoyens aient leur mot à dire ou qu’ils soient véritablement consultés.

Democratie athénienne (Wikipedia)

Dans la démocratie athénienne, la première connue, le tirage au sort des candidats est largement employé pour les institutions exécutives et juridiques. A l’inverse, des élections peuvent être organisées dans des pays à régime autoritaire comme l’Égypte ou la Syrie. Limiter la démocratie au seul vote, c’est la déshabiller.

Une enquête du Conseil Economique, Social et Environnemental montre que le meilleur levier pour améliorer le fonctionnement de la démocratie est « écouter davantage les gens et prendre en compte leurs préoccupations ». La démocratie doit donc être vécue dans toutes ses composantes, nationale comme locale, en employant la palette d’outils mise à sa disposition. Au niveau local, c’est la condition pour que le concept encore creux de « laboratoire de la démocratie » sorte de son statut de tarte à la crème et prenne enfin corps. Mettre en place une démocratie locale efficace c’est favoriser la démocratie au niveau national, la première exerçant un effet levier sur la seconde. Mais le national peut aussi tuer le local en lui coupant ses moyens financiers ou en limitant ses actions.

Démocratie nationale et locale sont dans le même bateau. Faisons en sorte qu’aucune ne tombe à l’eau !