Connaissez-vous le cocktail Belle Ile ?

26 juin 2021 Par Fulmar Boréal
Connaissez-vous le cocktail Belle Ile ?
 
Connaissez-vous le cocktail Belle Ile, quand il est question de pesticide ?
Pas ceux qui tuent la peste, mais bien le vivant. Celui qui bien souvent relève plus d’une pulvérisation à la mitrailleuse que d’un tir de précision. Et qu’on appelle officiellement et légalement pollution diffuse. Ce cocktail n’est pas lié uniquement à ce qu’on boit, mais aussi à ce qu’on mange, respire, touche. Et qui va dans notre corps et notre environnement se stocker, s’évaporer, se lessiver, se cumuler dans nos tissus, dans les cours d’eau, comme dans la terre que nous transmettons à nos enfants. Il ne s’agit pas de montrer une profession plus qu’une autre mais cet article doit être considéré comme une alerte sur le danger de ces produits et un appel à plus de responsabilité de tous les acteurs, entreprises, citoyens, sur un petit territoire comme Belle Ile qui peut devenir un exemple, un espoir. En effet, sur nos 84  kilomètres carrés presque 29 sont dédiés à l’agriculture (Chiffre CCBI/ RGA 2010) et de nombreux espaces devant être « propres », mais, le sont ils vraiment…Comment s’affranchir après des années de propagande de commerciaux aux dents longues, de lobbyistes bien implantés, à l’heure où ces substances actives, dans différents arrêtés, sont considérés comme des déchets ?
Comment étudier la question du cocktail alors que l’absence d’étude est criante ?
Mon étude est basée sur les chiffres de la Banque Nationale des Ventes de Produits Phytopharmaceutiques, source officielle de l’Etat (les 2 dernières années exploitables sont 2017 et 2018.) Cette base de données permet d’accéder à toutes les importations (achats) sur notre île, déclarées par des distributeurs agréés. Je me suis d’abord attelé à additionner en valeur réelle le cumul des substances actives en kilogramme qu’on appelle T, T+ et CMR (Bien différemment de l’ARS sur l’eau potable qui se base sur des additions de seuils). Quèsaco ? c’est tout simplement, les substances Cancérogènes, Mutagènes et Reprotoxiques (Touchant à la reproduction) que vous côtoyez sur l’ile dans votre quotidien. Puis, dans un deuxième temps, j’ai travaillé sur chaque substance afin de faire la recette de votre cocktail sur une année. Sans odeur, sans couleur, elles sont invisibles à vos sens et vous ne pouvez donc rien maitriser. Elles sont soumises à redevance pour pollutions « diffuses » à juste titre.
Avant d’aborder le chapitre suivant, il est important de prendre en considération qu’en 2019 et normalement 2021 certaines substances actives ont été ou seront interdites, n’ayant pas fait l’objet du principe de précaution auparavant.
Un cocktail complexe bien frappé 
Sur Belle Ile en 2017, le mélange T, T+ et CMR pesait 65.418 kg  soit 2.26 kg de substances actives par kilomètre carré agricole en moyenne. En 2018, 68.458 kg soit 2.37 kg / km2 en moyenne. Se rajoutent, puisque non classées, en T, T+ et CMR, deux substances très controversées médiatiquement : Le glyphosate à hauteur de 129.958 kg de substance active en 2017 soit 4.5 kg / km2, 81.11 kg en 2018. Soit 2.81 kg au km2. Le Dicamba lui est utilisé pour les plantes résistantes au glyphosate, il est passé de 2.77 kg / km2 à 5.43 kg / km2. Une étude publiée dans Courrier International (07/09/2017) spécifiant que le Dicamba était 75 à 400 fois plus dangereux pour les plantes touchées accidentellement car très volatil… Il avait semé le trouble aux Etats Unis mais peu en France.
Pour être le plus juste possible, il est important de signaler qu’il faudrait ajouter aux surfaces les jardins et parkings entretenus par des professionnels ayant les certifications pour utiliser ces substances. Mais enlever les friches et les parcelles bio. 

 

 
 
Pourquoi le cocktail se troubletil ?
La taxe de la redevance de mise sur le marché de ces produits cumule 10 millions d’euros  en 2016, 23 millions en 2018, 100 millions en 2019 selon (Source : Coordination Rurale 10/12/2018) qui s’en inquiétait lors du nouveau calcul du projet de loi de finances 2019.  Les certificats sanitaires et phytosanitaires ont produit 2 millions d’euros en 2016. La redevance pour pollution diffuse de 2011 à 2015 fut réaffectée au budget général de l’état. De quoi semer le trouble ? 
Tchin tchin, un pour tous et personne pour lui.
L’agriculteur en détresse face à tant d’information se retrouve coincé entre sa loyauté à ceux qui sont sensés l’aider et le conseiller pour tenir face à une mondialisation boulimique et intenable et deviennent des pestiférés quand la maladie survient. Se tournant vers des associations comme « Soutien aux victimes des pesticides de l’Ouest ». France info en date du 3 juin 2018 spécifiait que 150 agriculteurs ont été reconnus en maladie professionnelle. La compensation était alors de 450 euros par mois en 2018 (Source France info du 04 06 2018). Le fabricant lui « 0 ». L’agriculteur paye une taxe pour pollution diffuse, qu’il aura en redistribution plus tard avec beaucoup de chance et de peine, comme fond d’indemnisation pour son cancer ou son parkinson. La boucle est bouclée ? Tchem pour tchem …
En 2019,  aucun fonds d’indemnisation des victimes n’était prévu alors que le Sénat y était favorable et les études concordantes. L’enquête Agrican  présente pourtant, dès 2005, un risque 3 ou 4 fois plus grand selon les tumeurs (cérébrales) et les pesticides concernés ! Il aura fallu 180000 participants affiliés à la MSA pour faire trembler (un peu) les murs... Maladie de Parkinson, lymphomes, cancer de la prostate par exemple sont clairement identifiés comme risques dans cette enquête.  Ce que l’Inserm en 2013 avait aussi échoué à faire par la petitesse de l’étude (Source : L’Info Durable 23/02/2021). Pourquoi avoir mis si peu de moyen ? Quand le plan d’Etat  Ecophyto de 70 millions devait anticiper la réflexion et que les pesticides bondissaient de 22% de 2008 à 2015 (Source Joël Labbé / Bastamag) ? 
A l’heure d’aujourd’hui les préfets ont retoqué les maires courageux au tribunal administratif, car  seul le ministre de l’agriculture peut interdire, restreindre ou prescrire de façon particulière l’usage des pesticides. Laissant la population à son impuissance. Pourtant 9 français sur 10 sont pour l’interdiction totale des pesticides en 2024. 
Recette du cocktail de Belle Ile version 2017, puis 2018 :
Delthamethrine, insecticide, Bayer : 2017 / 0.0039 kg
Prothioconazole, fongicide, Bayer : 2017 / 3.695 kg, 2018 : 10.137 kg
Oxyfluorfene, herbicide 2017 : 0.00594, 2018 : 12.925 kg
Tefluthrine, toxicité zone aquatique, 2017 : 3.96 kg, 2018 : 5.446
Bromoxynil, pesticide, herbicide du Maïs, a été stocké en vu de son interdiction future en septembre 2021 (Source : Le sillon Belge) 2017 : 1.175, 2018 : 14.235 kg
Sulcotrione, Maïs, 300 g par hectare max, souvent associé au Dicamba et prosulfuron… 2017 : 19.5 kg, 2018 : 16.5 kg
Abamectrine, Insecticide, létal pour le poisson à hauteur de 0.004 mg / l, 2017 : 0.000135 kg
Epoxiconazole, empêche le mycélium, blé 2017 : 2.075 kg
Tebuconazole, fongicide, létal pour le poisson à hauteur de 0.03 mg / kg, 2017 : 2.675 kg, 2018 : 4.625 kg
Pinoxaden, Pesticide Syngenta, 2017 : 0.25
Ethephon, Cerone, Bayer !!! 2017 : 1.5 kg
Zetacypermethrine, 2017 : 2.96 kg, 2018 : 3.36 kg
Tebyfenpirad  2017 0.002 kg
Chlorothalonil, biocide pesticide fongicide Antifouling, Interdit aujourd’hui, 2017 : 2.5 kg, 2018 : 2.5 kg
Iprodione, fongicide, 16 retraits d’autorisation de mise sur le marché (Conformité commission européenne) de l’ANSES, 2017 : 0.005 kg, 2018 : 0.01 kg
Oryzalin, le petit dernier de chez Dow, herbicide pour les vignes (Source mon-viti.com), 2017 0.44196
Azoxystrobine, pesticide, fongicide, 2017 : 0.01 kg
Mancozebe, fongicide polémique à Madagascar car on traitait les cagettes de transport de fruits avec, perturbateur endocrinien et particulièrement toxique pour la reproduction, devait être interdit en 2021 (Europe), un des plus vendus en France aujourd’hui Belle Ile. 2017 / 0.72 kg
Lambda-cyhalothrine, insecticide, médicament pour les animaux, polémique au Canada / 2017 : 0.1
Tenbotrione, couplé au bromoxynil, herbicide maïs 2018 : 0.25 kg
Quinoclamine  retrait Europe 2019, 2018 : 1.875 kg
Thiacopride, insecticide, néocotinoide, système nerveux, retrait Europe 13 janv 2020, devait être interdit au 1 er septembre 2018 (Source usine nouvelle.com)  2018 / 9.5 kg
Zetacypermethrine, insecticide spectre large 2018 / 3.36 kg
Cymoxanil, fongicide mildiou dans les vignes par exemple, rentre dans la composition du Valiant chez Bayer, 2018 / 0.02 kg
Ces substances actives tuent, elles sont faites pour cela : les champignons, les bactéries, les acariens, les végétaux, les oiseaux, les poissons, les insectes. Et les humains ? 
Pourtant notre interdépendance n’est plus à démontrer et notre biodiversité n’a jamais autant mise à mal.
Gageons que ces dernières élections puissent déboucher sur une réflexion dans chaque décision prise et aménagements en cours et à venir. 
En attendant, vous reprendrez bien un peu de « cocktail Belle Ile« , pour la route !
Skarer Pichtagorn