Montée des eaux : n’attendons pas que l’amer monte !
10 août 2021Conséquence des changements climatiques, la montée prévue du niveau de la mer va t-elle submerger les quais du port de Palais ? Dans un premier article publié sur ce blog en avril dernier et intitulé « Water is coming », nous rappelions le phénomène de montée du niveau de la mer avec une hauteur d’eau de 1m supplémentaire, attendue à l’horizon 2100. Nous soulignions également la discrète prise en compte à Belle île de ce phénomène inéluctable, contrairement au volontarisme observé sur des îles comme Sein, Ouessant ou Molène. Nous complétons ici ce premier article par les résultats des mesures réalisées par AGIR dans le port de Palais, au printemps dernier et par la suggestion de quelques solutions apportées face à ce problème, dans le monde.
Les quais de Palais dans l’eau en 2100
Afin d’attirer l’attention sur les conséquences locales de la montée des eaux, l’association Agir (Association pour une Gestion Insulaire Respectueuse) a mené, entre les mois de février et mars 2021, des mesures du niveau de la mer atteint pour 3 coefficients de marée (92, 102 et 112). Dans la pratique, la hauteur de quai hors d’eau a été mesurée à pleine marée haute, selon un protocole précis. Les résultats ont été reportés sur une carte du port de Palais, en ajoutant au niveau observé une hauteur d’eau de 1m, en accord avec la montée du niveau de la mer attendue en 2100 (cf. article Water is coming ). Les résultats sont présentés sur la carte ci dessous. Comme conseillé par le SHOM qui est le référent national pour l’observation du niveau de la mer (*1), les hauteurs de pleine mer ont été également signalées, les coefficients de marée n’étant qu’un simple indicateur de l’amplitude des marées.
L’examen de la Figure 1 montre qu’en 2100, la majeure partie des quais du port de Le Palais sera submergée lors de marées hautes d’amplitude modérée (hauteur 5+1m, coefficient 92). Les quais Gambetta et Jacques le Blanc seront presque entièrement inondés. Pour les plus fortes marées (6.5m, 112), les quais Vauban et de l’Yser seront également sous l’eau.
Le présent travail doit être pris pour ce qu’il est : des mesures ponctuelles, réalisées avec des moyens limités et dans un cadre associatif. Ce n’est donc nullement un travail scientifique qui aurait nécessité des mesures répétées et prenant en compte différents facteurs pouvant intervenir dans les résultats comme la direction ou la force du vent, la pression atmosphérique ou même la température. Les mesures effectuées ici ne sont donc pas exactes comme l’est également la projection du niveau de la mer en 2100. Ce sont plutôt des estimations qui doivent être confirmées par des mesures plus systématiques et l’utilisation de modèles mathématiques. Mais une association n’est pas une équipe de scientifiques et l’objectif affiché ici n’est nullement celui d’un travail de recherche.
Des solutions variées
Au niveau mondial, l’enjeu est colossal : près de 15 millions de bangladais pourraient être contraints de quitter leurs terres en raison de la montée des eaux (*2). Un quart de la région de New York où vivent 800 000 personnes, sera inondable d’ici à 2050(*3). Selon l’ONU et à cette même date, la montée des eaux devrait contraindre 300 millions de personnes à la migration(*4) Face à ce problème, les solutions adoptées au niveau mondial sont variées : des plus simples comme la construction de digues aux plus inventives comme les waterplazza, ces installations sportives ou jardins publics qui se transforment en zones inondables en cas de danger (*5). Des îles flottantes sont envisagées et même déjà construites comme celle d’Hulhumalé aux Maldives qui accueille 50 000 habitants(*6). Le projet Ocean Community envisage de construire des lotissements de petites maisons flottantes en pleine mer : on veillera cependant à posséder quelques moyens financiers, ce type de solution n’étant pas à la portée de toutes les bourses (*7)… Enfin, des solutions biologiques sont à l’étude comme la possibilité d’employer la force de travail d’huîtres, connues comme des espèces dites ingénieures, afin de créer des digues. Cette solution évite l’utilisation de béton et peut également contribuer à soutenir la biodiversité comme dans le cas de l’huître plate, non seulement pour l’espèce apportée dont les stocks sont limités mais aussi pour la centaine d’autres espèces attirées par les bancs ainsi créés (*8) .
Parmi l’éventail de solutions, l’implantation de digues est celle qui semble la plus évidente. Traversée par la Tamise, la ville de Londres est protégée depuis 1953 par des barrières construites en 1982 et protégeant plus d’un million de personnes. A sa création, ce dispositif était utilisé 2 à 3 fois par an, contre 6 à 7 actuellement (*9) A Venise, 73 digues flottantes peuvent être érigées en 30 minutes en cas d’inondation (*10). Mais les maîtres de l’art restent les Néerlandais. On en comprend la raison lorsque l’on sait que 80% des habitants de Rotterdam sont menacés par la montée des eaux et que la moitié des habitants de ce pays vivent sous le niveau de la mer (*11). Les inondations de 1953 ont fait 1 800 morts et les Pays Bas en ont tiré la leçon en érigeant une véritable culture de vie commune avec l’eau: 22 000 km de digues ont été érigés et l’institut de recherche Deltares est une référence mondiale dans la mise en place de solutions contre les submersions (*12). Près de 2 400 entreprises travaillent dans ce domaine, générant un chiffre d’affaires de 17 milliards d’euros dont la moitié est réalisé à l’étranger (*13).
En France, le port du Havre a mené des études de modélisation numérique des submersions pour caractériser les risques d’inondation sur son territoire. Le rehaussement des quais de Vannes est en cours (*14). Située en moyenne à 1,5 m au dessus du niveau de la mer, l’île de Sein s’est sagement entourée depuis 1850, de 3km de digues (*15). Mais ces ouvrages ne sont pas sans inconvénients : outre leur coût, les digues trop verticales sont soumises à la violence des vagues qui les cassent fréquemment. Elles doivent être prévues suffisamment larges afin de laisser aux générations futures la possibilité de les rehausser en fonction de l’élévation du niveau de la mer. Autour des digues, une aggravation des phénomènes d’érosion est souvent constatée, nécessitant un entretien plus fréquent. Enfin, la mise en place de digues peut nuire à l’attractivité du territoire et affecter les résultats du tourisme.
Il ne faut plus attendre
En France, 700 000 hectares sont situés sous le niveau de la mer, menaçant 1,4 million d’habitants (*16). Les Pays Bas ont pris des mesures à la hauteur de l’enjeu, consentant un effort financier considérable comme en nommant un commissaire au plan chargé de ces questions. De son avis « l’important c’est de partir à l’heure. Cela prend 20, 30 ou 40 ans pour conduire un projet. Si on s’y prend à temps on a les réponses pour faire face au changement climatique» (*17) . A Palais et sur le reste de l’île, il est temps de prendre le problème en compte. La montée des eaux est progressive et n’attendra sûrement pas 2100 pour se manifester. Pour s’en convaincre, on regardera les enregistrements du marégraphe de Brest représentés dans notre premier article ou encore les images de réalité virtuelle qui montrent les vagues rentrant dans la ville d’Etretat (*18) . Les exemples donnés ci dessus montrent que les solutions sont variées. Leur choix et adaptation aux conditions locales sont affaires d’experts et cette étude doit être rapidement entamée: depuis la simple porte à l’entrée des digues du port de Palais jusqu’au relogement des implantations les plus menacées, une solution adaptée doit être envisagée. L’initiative Seaties de la plate forme Océan Climat a pour objectif de faciliter l’élaboration de politiques publiques et la mise en œuvre de solutions d’adaptation pour les villes côtières exposées à l’élévation du niveau de la mer (*19). Les Pays Bas ont institué un système de défense contre la mer depuis 1255, date à laquelle fut créée la première régie des eaux. Un bel exemple d’anticipation !
Notre île ne doit pas rester à l’écart de la lutte contre le changement climatique en estimant les conséquences de ses activités, en cherchant à les minimiser comme à se protéger de ses effets néfastes. Un développement respectueux de l’homme et de son environnement est à imaginer. Une dynamique qui inscrirait Belle île dans celle initiée par certaines îles du Ponant. Sans cette volonté, l’économie et le développement de Belle île seraient, à terme, largement menacés et tout particulièrement sur un territoire où 94% de l’alimentation provient du continent (*20) . Une politique de l’autruche face à la montée du niveau de la mer alimenterait des réactions d’opposition dont l’ampleur est difficilement imaginable aujourd’hui.
Face à la montée du niveau des océans, n’attendons pas que l’amer monte !
Merci à Maïa (11 ans), Claire, Anne Sandrine, Béatrice, Anne Catherine, Alain, Francis et Karol pour l’aide précieuse apportée lors des mesures du niveau de la mer et la réalisation de la carte.