Des graines au cœur de nos vies -1
A travers ce court article, je n’aborde pas tout mais je dis mon inquiétude concernant les effets de l’agro-industrie sur les semences mais aussi les espoirs que me procurent les nouvelles pratiques agricoles fondées sur l’agroécologie, notamment à Belle-Île. Enfin, je propose modestement quelques actions personnelles ou collectives pour inciter chaque jardinier à se réapproprier des graines paysannes, saines et diversifiées.
Les semences paysannes à l’origine de notre alimentation.
Les espèces et variétés cultivées sont au cœur de nos vies par leur rôle nourricier et par conséquent de notre santé. Elles sont aussi à la base de la souveraineté alimentaire. Ce sont les paysans et les jardiniers qui, au cours du temps, ont sélectionné et collectionné les semences de multiples variétés potagères, fruitières, céréalières, médicinales. Ils cultivaient le plus souvent dans le respect de la nature et des sols et échangeaient librement leurs graines. Cette activité était accompagnée de connaissances et de techniques transmises au fil des générations.
L’agro-industrie et ses effets sur les semences.
Mais aujourd’hui, à l’heure du néolibéralisme mondialisé et avec l’appui d’États complices, les grands semenciers s’accaparent le rôle économique de la semence. En profitent également les marchands d’engrais et de pesticides, qui sont souvent les mêmes, et les fabricants d’engins agro-industriels. Tout cela conduit à la généralisation de la malbouffe et, au final, à la fabrique des pandémies au profit des super-labos qui lorgnent sur notre santé.
En effet, tout a été fait pour favoriser la puissante agro-industrie au détriment d’une agriculture locale, intégrée à son environnement. L’une des stratégies de l’agro-industrie est la déstabilisation des petits paysans qui ont perdu bien des libertés, les contraignant souvent à disparaître du paysage rural. Il en résulte des dégâts importants comme la pollution de l’eau, de l’air et des sols, l’appauvrissement et l’abandon de nombreuses terres cultivables, ainsi que la perte de la biodiversité cultivée ou naturelle. D’ailleurs, la FAO a lancé une alerte en signalant qu’au 20ème siècle, 75% des variétés des espèces cultivées ont disparu. C’est le résultat des mesures restrictives prises par les autorités sous la pression des grands semenciers.
Entre autres mesures négatives, depuis les années 1930, un catalogue des variétés cultivées est peu à peu imposé. Il fait disparaître les semences paysannes au profit des semences modernes. En effet, celles-ci doivent figurer à titre onéreux sur le Catalogue officiel. Elles sont la propriété de grands semenciers qui ont les moyens de payer les droits d’inscription et une taxe annuelle. Les variétés inscrites à ce catalogue doivent répondre à des critères ciblés d’homogénéité, de distinction et de stabilité, conformes aux pratiques agro-industrielles. Sans soutien chimique, ces variétés modernes sont très fragiles. Par contre, les variétés issues de semences paysannes ont une génétique très variée, ce qui leur permet de s’adapter naturellement aux aléas climatiques, aux maladies, etc.. Elles évoluent en permanence, ce qui les exclut du catalogue officiel.
Autre danger pour l’avenir des semences anciennes ou paysannes : après avoir été échangées abusivement contre des variétés modernes, elles sont stockées dans les grands congélateurs des banques de semences. Comme elles sont ressemées une fois tous les 5 à 10 ans, cela perturbe leur évolution et entraîne la perte de certaines variétés. De plus, leur commercialisation en grande quantité a été interdite. Mais depuis peu, elles peuvent être cultivées en tant que « collection ». Pourtant, on peut signaler que l’agriculteur a quand même la possibilité de vendre le produit de la transformation des graines.
Et comme si cela ne suffisait pas, certains grands semenciers vont jusqu’à vendre les semences sous contrat et surveillent impitoyablement les récoltes, ce qui accentue l’endettement des paysans. Et, ce n’est pas fini, puisque le nouveau combat des grandes firmes semencières est de s’enrichir à coup de brevets qui leur permettront d’imposer des droits dangereux sur le vivant.
Face à l’agro-industrie, une agriculture plus respectueuse du vivant :
Le tableau de l’agro-industrie mondiale est alarmant, mais des agriculteurs du monde entier se mobilisent. Ensemble, ils luttent pour une agriculture soucieuse de la biodiversité dont nos vies dépendent. C’est le cas en Amérique latine où des paysans se regroupent autour de l’agroécologie pour atteindre autonomie et autosuffisance alimentaire.
En France, des associations ou syndicats agissent avec, notamment, le Réseau Semences Paysannes qui a vu le jour au début des années 2000. Pour prendre ce dernier exemple, les adhérents professionnels ou amateurs de ce réseau se battent pour améliorer les lois. C’est aussi un lieu d’échange de savoir-faire et d’entraide. Certaines actions sont menées avec l’appui de juristes et de scientifiques.
Quelques projets d’agroécologie à Belle-Île :
A Belle-Île, quelques maraîchers et viticulteurs pratiquent des techniques agroécologiques, comme la permaculture ou autres techniques respectueuses du vivant. On peut citer des vergers cultivés en agroforesterie. Il en est de même pour la culture de plantes médicinales et de fleurs. Dans certaines fermes, on utilise la complémentarité entre la biodiversité cultivée et la biodiversité naturelle. Saluons le courage de ces agriculteurs qui ont conscience que notre île est un petit territoire fragile mais merveilleux à condition de favoriser une agriculture vivrière biologique. D’ailleurs, c’est bien la diversité des systèmes agroécologiques qui garantira la sécurité alimentaire, indissociable de la santé avec, en prime, le bien vivre et le vivre ensemble. Par ailleurs, quelques transformateurs, de produits laitiers notamment, prennent le même chemin en faisant le choix de privilégier une matière première biologique.
Quelques associations viennent renforcer ces initiatives positives comme l’association « Du Grain Au Pain » qui mobilise des agriculteurs autour d’une filière céréalière belliloise sans intrants chimiques. Par ailleurs, elle cultive des semences paysannes avec les conseils d’une spécialiste de la biodiversité cultivée afin d’obtenir un mélange dynamique adapté au territoire.
Une autre association (APCANBI) lutte pour la sauvegarde de l’abeille noire belliloise, alliée indispensable des cultivateurs, des jardiniers et des collecteurs de graines. Elle insiste sur les interactions entre apiculture, nature et agriculture et recommande l’utilisation de plantes mellifères, biologiques et sans traitement chimique.
Anne-Marie Moulinier, association des Amis de la Décroissance – Belle-Île en mer