Dessalement, la mer à boire !
22 juin 2023Pluies en France : du jamais vu depuis 1959 !
Près de 700 communes françaises ont manqué d’eau durant l’été 2022. En juillet, la pluviosité est en effet largement déficitaire avec des baisses constatées de 85%. En août, 93 départements sont concernés par des arrêtés de restriction temporaires d’usage de l’eau. Plus inquiétant encore, la pluie n’est pas tombée sur l’hexagone durant une période de 32 jours consécutifs, durant les mois de janvier et février 2023. Le record précédent de 1989 était de 22 jours sans pluie. Originalité de l’observation de cette année : c’est en plein hiver et non en été, que se situe cet épisode de sécheresse. Du jamais vu depuis le début des enregistrements par Météo France, en 1959!
Comment expliquer une telle constatation? Depuis l’été 2021, la France subit une sécheresse particulièrement intense. A l’exception de trois mois, tous les mois de cette période présentent un bilan déficitaire en pluie. Cette situation est expliquée par la présence d’un anticyclone sur le territoire français, agissant comme un bouclier repoussant les perturbations. L’inquiétude est doublée par la température hors norme que connaît la France durant la même période : c’est la première fois, depuis 1947, que l’on constate une telle suite de valeurs de température au dessus des moyennes saisonnières et se prolongeant sur une période de 13 mois. Un travail récent du CNRS montre le lien entre changement climatique et épisodes de sécheresse prolongée: une concentration élevée en CO2 fait monter la température comme la pression. L’anticyclone atteint des altitudes plus élevées empêchant l’arrivée des pluies/. Un tel mécanisme rend l’apparition d’un épisode de sécheresse des sols cinq à six fois plus probable. De façon plus générale, plus d’une 12e d’évènements météorologiques majeurs survenus depuis 2012, sont liés ou aggravés par le réchauffement climatique.
S’adapter au manque d’eau
Quelque 2,2 milliards de personnes, c’est à dire un tiers de l’humanité, ne disposent pas de services d’alimentation en eau potable gérés en toute sécurité. D’autre part, 2,5% seulement de l’eau disponible sur terre est consommable. Dans le futur, les étés caniculaires comme celui de 2003 devraient devenir la norme. Les restrictions de la ressource en eau devraient affecter près de 600 millions d’enfants d’ici 20 ans. L’eau qui était vue comme un bien courant et inépuisable
-le geste d’ouvrir un robinet est tellement simple- devra donc être considérée avec beaucoup plus de prudence. A l’avenir, il faudra s’adapter à cette nouvelle donne et composer avec le manque de ressource en eau. Les solutions suggérées sont nombreuses, en liaison avec le secteur d’activités concerné. Ainsi l’agriculture, consommatrice de près de 70% de l’eau utilisée au niveau mondial et de 57% de l’eau consommée en France doit se tourner vers la culture d’espèces moins consommatrices. Une amélioration des infrastructures est également indispensable lorsque l’on sait qu’un litre sur cinq est perdu en raison du mauvais état du réseau de distribution national.
Pour combattre le manque de ressource en eau, une des solutions proposées est d’augmenter le volume d’eau disponible par désalinisation ou dessalement de l’eau de mer. Les océans occupent 1 388 millions de km3, soit 97% des réserves d’eau présentes sur la terre. Pas étonnant donc qu’une telle solution ait pu émerger! Mais, chaque litre d’eau de mer contient en moyenne 35 g de sels divers, une composition qui n’est pas adaptée aux besoins du corps humain. En buvant de l’eau de mer on s’expose à l’hypertension comme à la déshydratation du corps. Il est donc indispensable d’éliminer les sels contenus avant de boire l’eau de mer .
Techniquement, l’eau de mer peut être désalée grâce à deux techniques :
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L’osmose inverse : lorsque deux liquides, présentant des concentrations en sels différentes, sont séparés par une membrane semi-perméable (qui ne laisse passer que les liquides), le liquide le moins salé traverse la membrane pour aller vers le plus salé. Mais c’est l’inverse qui se produit si on applique une forte pression du coté du liquide le plus concentré en sels. C’est le procédé utilisé actuellement dans 84% des usines.
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La distillation : c’est la plus ancienne technique de dessalement. L’eau est chauffée dégageant de la vapeur d’eau dépourvue de sels. En refroidissant la vapeur d’eau, on récupère l’eau à l’état liquide.
En 2022, 20 000 usines de dessalement sont en fonctionnement dans le monde parmi lesquelles la production journalière de 16 000 installations est évaluée à 95 millions de m3. Un volume qui ne correspond qu’à 1% de l’eau potable consommée. En comparaison, la France utilise chaque année 32 milliards de m3. L’Arabie saoudite puis les Émirats arabes unis sont les deux premiers producteurs mondiaux mais d’autres pays ont également développé des installations de dessalement : Israël, Jordanie, Tunisie, Espagne, Mexique, Chili, États Unis, Malte et Maroc. Au Koweït et aux Émirats Arabes Unis, respectivement 90 et 42% de l’eau potable provient de ce procédé. L’eau produite dans les usines est essentiellement utilisée pour la consommation humaine (62%), mais aussi pour l’industrie (30%), l’énergie et l’agriculture. Les petites usines locales sont remplacées aujourd’hui par des unités de taille importantes : l’usine d ‘Ashkelon, en Israël, produit 320 000 m3/jour, soit les besoins en eau potable de plus d’un million de personnes. En Europe, la plus grande usine de dessalement est celle de Barcelone. En Afrique, Asie et Amériques des projets de grande envergure sont annoncés.
Dessalement : l’eau de mer met son grain de sel!
La production d’eau potable par dessalement est donc possible mais les problèmes liés à la technique restent nombreux :
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Énergie : la consommation d’énergie des installations de dessalement est élevée puisque de 10 à 15 kw/h étaient utilisés pour la production d’un m3 d’eau. Les recherches ont permis de baisser ce chiffre à 3,5 kw/h. La consommation peut être différente selon la technique de dessalement utilisée, l’osmose inverse restant la moins gourmande. Problème complémentaire : l’énergie utilisée appartient le plus souvent au groupe des combustibles fossiles : en 2017, les énergies renouvelables ne fournissaient que 1% de l’énergie nécessaire aux 20 000 usines de dessalement. Le secteur est donc responsable de l’émission de 120 millions de tonnes de CO2, un montant correspondant à la moitié des émissions de la Thaïlande. En 2050, l’activité devrait émettre 400 millions de tonnes de CO2. Comparé au dessalement, le coût énergétique d’une eau souterraine claire ou de surface et polluée est respectivement 2,5 à 100 fois moindre. Des recherches sont menées pour piloter plus finement les membranes dans des installations fournies en énergie par le solaire, permettant d’économiser l’énergie.
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Pollution : la saumure rejetée est elle même composée d’éléments toxiques liés au traitement de l’eau: anti bactériens, anti mousses, anti tartes, métaux issus de la corrosion et floculants utilisés pour retirer les matières en suspension. Les produits anti salissure présentent des effets stérilisants sur certains organismes marins. Un volume journalier de 1,5 million de m3 est rejeté dans les effluents des 21 usines de dessalement installées sur les bords de la mer Rouge. Si les concentrations en polluants de ces effluents sont faibles, ces volumes correspondent tout de même au rejet de 2,7 tonnes de chlore par jour. Enfin, la température de l’eau rejetée par les usines est de 0,7 à 2,8°C plus élevée que celle du milieu marin. Or, de nombreuses fonctions physiologiques des organismes marins sont régulées par la température. Ces organismes sont capables de s’adapter à de petites variations de ce paramètre mais pas à un rejet massif et continu d’eau à température élevée. Enfin, les effets « cocktail » sur les écosystèmes, provoqués par le rejet d’effluents trop chauds, trop salés et contenant des toxiques, sont à craindre.
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Saumure : séparés de l’eau de mer dans les usines, d’énormes volumes de sels sont produits par le processus de dessalement. Pour l’ensemble des usines existantes, le volume de saumure, une eau de mer à très forte concentration en sels, s’élève à 142 millions de m3/j. Un volume supérieur à celui de l’eau produite. Un problème dont on comprend mieux l’ampleur lorsque l’on sait que ce volume permettrait de recouvrir la Floride d’une couche hyper salée de 30 cm, chaque année ! La majeure partie de la saumure étant produite à proximité du littoral, elle est le plus souvent rejetée directement dans la mer. Les rejets de saumure issus des usines du Golfe persique ont pour conséquence l’augmentation locale de la teneur en sel de l’eau de mer de 5 à 10 g/l. Comme le déplore l’ONU, ce rejet peut avoir de fortes répercussions sur la teneur en oxygène du milieu mais aussi sur l’ensemble des organismes présents. Des suivis biologiques montrent la disparition du corail et d’organismes planctoniques à proximité des rejets d’une usine égyptienne. Une eau moins oxygénée capte moins de CO2 et lutte donc moins efficacement contre le changement climatique. Cependant, la saumure est riche en composants qui peuvent s’avérer utiles comme le magnésium, le gypse ou encore le calcium.
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Santé publique : l’eau de mer dessalée ne possède pas de minéraux naturellement trouvés dans les nappes phréatiques. Une étude menée en Israël montre que la consommation d’eau dessalée a pour conséquence des risques cardiaques six fois plus élevés. Un résultat qui doit être confirmé mais qui pourrait être attribué à un manque de magnésium.
Un milliard de personnes vivent dans des zones soumises à des pénuries d’eau et ce chiffre devrait atteindre plus de trois milliards en 2030 . Un manque critique d’une ressource indispensable à la vie, l’or bleu, apte à déclencher des conflits. C’est potentiellement le cas entre l’Égypte et l’Éthiopie qui se disputent les eaux du Nil, comme entre la Syrie et la Turquie autour du Tigre et de l’Euphrate ou encore la Chine, l’Inde et le Bangladesh au sujet du Brahmapoutre. L’eau est donc un enjeu stratégique à l’échelon mondial, vecteur possible de graves conflits.
Face à ces tensions, le dessalement de l’eau de mer n’est pas une véritable solution à l’exception de pays soumis à de graves tensions en eau. En effet, la technique gourmande en énergie et productrice d’effluents polluants, ne peut être considérée comme durable puisque basée sur une contradiction : répondre à un problème lié à l’environnement, le manque d’eau, en imposant de nouveaux dégâts à ce même environnement. Le dessalement de l’eau de mer constitue plutôt une solution de la dernière chance qui ne doit être adoptée que lorsque toutes les réponses moins pénalisantes ont été envisagées : économies d’eau, choix d’espèces cultivées ou élevées moins gourmandes, amélioration des réseaux diminuant les pertes, recyclage, priorisation des usages…. Des questions qui sous tendent un véritable débat sur un choix de société qu’il semble bien difficile d’entamer!
Merci à Perrine Barray pour la relecture du texte.