La décroissance et Belle-île La décroissance qu’est-ce que c’est ?
Depuis le début du XXIème siècle un spectre hante l’Europe, le spectre de la décroissance. Le mot fait peur, ou dérange c’est selon, mais il ne laisse pas indifférent. Quel sens y mettent ses détracteurs et que signifie t’il pour ceux qui l’emploient ? Et surtout que voudrait dire la décroissance à Belle-île ?
En général ses détracteurs reprochent aux décroissants leur manque… d’imagination technique, ces derniers ne pourraient pas imaginer une croissance différente, une « croissance verte » articulée autour d’innovations techniques.
Quand on creuse on perçoit toutes les limites de cette doxa : à la fois un mythe de la technique, le Progrès réduit à la somme des innovations techniques et paradoxalement une critique de la croissance puisqu’on espère en une croissance différente.
Or, une « croissance verte » est un oxymore. Il ne peut pas y avoir croissance et respect de la biosphère et de la société. Toute croissance entraîne une mobilisation accrue de matières et d’énergie dont la quantité est limitée.
Cette critique outre son inconséquence oublie deux règles. Inconséquence car si elle critique la croissance elle ignore que la centralité accordée à la technique qui la rend possible, voit les rendements marginaux de l’innovation baisser. Par exemple il faut aujourd’hui 18 fois plus de chercheurs pour doubler la puissance d’un microprocesseur que dans les années 1970 selon la célèbre « loi de Moore ».
Par ailleurs, le deuxième principe de la thermodynamique aussi implacable que la loi de la pesanteur, implique qu’une croissance infinie dans une Terre limitée n’est pas possible. Il établit l’irréversibilité des phénomènes physiques, en particulier lors des échanges thermiques (loi de Carnot). Il est impossible que le rendement thermique d’un moteur soit de 100 %, où toute la chaleur de la source chaude serait transformée en travail utile, car tout travail entraîne une perte irréversible. Ce qui appliqué à l’économie implique l’impossibilité d’un recyclage à l’infini. D’ailleurs il devient même de plus en plus difficile notamment avec les alliages complexes de plus en plus utilisés notamment en électronique. Même si on peut recycler certaines matières, le taux ne peut pas être de 100 % par conséquent il baissera à chaque recyclage.
La deuxième règle c’est l’impossible découplage entre la croissance de l’usage des ressources et de l’énergie et celle du PIB. Il faut beaucoup d’énergie pour recycler, et beaucoup de matériaux pour produire de l’énergie, le processus lui-même émet beaucoup de carbone.
Alors manque d’imagination chez les décroissants ? Non ça serait plutôt l’inverse. Nous savons que la médiation technique entre l’homme et la nature, la division du travail ont entraîné à la fois une anesthésie de la perception et surtout un manque d’imagination quant aux conséquences des faits d’homo œconomicus, c’est le décalage. Günther Anders évoque ainsi les conséquences de l’usage de la bombe atomique, si on peut imaginer ce qu’est un mort, voire dix morts on ne le peut quand il s’agit de millions de morts. Mais c’est la même chose avec la destruction de la nature. Dans le monde de la croissance on a du mal à imaginer les conséquences de l’usage de la plupart des moyens techniques sur Dame Nature. La décroissance au contraire est sensible à la dégradation du monde, elle appelle à « décoloniser l’imaginaire », car elle imagine les conséquences dramatiques de ce qui nous arrive.
Elle questionne aussi « la filière inversée », le fait que l’on ne produit plus pour satisfaire des besoins, mais qu’on crée des besoins pour maintenir un système productif en particulier grâce à la publicité, au crédit et à l’obsolescence programmée.
Et que deviendrait Belle-île en décroissance ?
Il n’est ni possible ni souhaitable d’esquisser la politique de la décroissance appliquée à Belle-île. Seule la population pourra en décider le moment venu. Nous ne sommes pas dans une démarche technocratique de haut en bas, mais plutôt démocratique de bas en haut. Néanmoins nous pouvons essayer d’imaginer quelques mesures allant dans le sens de la décroissance.
Belle-île est une île, elle est limitée et on le ressent quotidiennement. Quand on veut la quitter ce n’est pas simple, il faut prendre un bateau et ce sont les rythmes naturels qui dominent car en cas de tempête pas de bateau. Pour reprendre le lien avec la notion de limite c’est déjà une première étape.
De plus elle est presqu’autonome en ce qui concerne son approvisionnement en eau.
Elle est petite, peuplée d’environ 6 000 personnes à l’année, taille idéale pour y développer une gestion démocratique, de démocratie directe un moyen pour limiter la puissance car elle nécessite de nombreux débats, elle s’inscrit dans un temps long….
L’île attire, elle est belle. Elle se prête à des images bucoliques véhiculées par la publicité et destinées aux touristes au point d’entraîner une surfréquentation en période estivale. Cependant derrière ces images se cache une situation sociale difficile : misère de beaucoup de gens vivant à l’année, logements insalubres, manque de logements pour les insulaires, emplois précaires pour le tourisme, violences, suicides, drogues, cancers, etc…
Or, pour qui a le courage d’examiner la réalité, il est facile de constater qu’il s’agit des conséquences du productivisme qui a commencé bien avant les Trentes glorieuses à Belle-île.