Belle île est elle encore une île ?
7 janvier 2021Près de 19 km entre Belle île et Quiberon et 45 min de trajet en bateau pour atteindre cette « étendue naturelle de terre entourée d’eau qui reste découverte à marée haute » comme le définit la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer : difficile de nier l’évidence, Belle île est bien géographiquement une île, un territoire qui a largué les amarres il y a presque 5 000 années avant notre ère1.
Réservoir d’imaginaire…
Entourée par la mer, une île impose des limites géographiques nettes, définissant sans conteste une terre dont on peut se réclamer contrairement aux frontières diffuses qui laissent à l’habitant du continent une trop vague notion de territoire. « Ça commence où chez moi ?» n’est pas une question d’îlien. Les frontières maritimes sont celles qui isolent et protègent du bruit du monde. Face au développement du tourisme littoral, l’île resterait placée hors de la marche du temps, emmitouflée dans une harmonie ancienne gagnée grâce à la distance avec le continent. On pouvait imaginer une île comme l’envers du monde continental2. Plus fantasmée, l’île c’est le petit point sur la carte qu’on a du mal à trouver, qui peut prendre la forme d’un Éden mythique, une île rêvée, un lieu délicieusement clos empreint d’un art de vivre, des «Marquises où le temps s’immobilise »3. L’île est un véritable réservoir d’imaginaire, un possible garant d’une authenticité que le continent a oubliée.
Relié aux réseaux !
Cette vision peut apparaître caricaturale, idéalisée, extérieure à l’île elle même et fort commune : « une île ….. c’est un peu bateau »4. Aujourd’hui, l’isolement original a été grignoté, laissant à la société d’hier la crainte de disparaître. Laissons de coté le cas des îles reliées par des ponts, Oléron, Ré ou Noirmoutier que l’ouvrage a transformé en simples extensions du continent. Sur les autres, les vraies, celles sur lesquelles on arrive en bateau comme à Belle île, la multiplicité des liaisons a profondément modifié l’isolement par l’arrivée de nouveaux résidents secondaires ou permanents. L’économie qui lui est liée n’est plus seulement autarcique. Finies les années où l’on demandait aux visiteurs d’amener du continent tel ou tel objet, impossible à trouver sur l’île. Les milieux insulaires sont aujourd’hui pleinement intégrés aux systèmes économiques, sociaux et culturels du continent. L’ouverture des îles s’est intensifiée, appuyée par l’imposition du modèle continental comme par l’essor des loisirs. Comme sur le continent, Facebook inonde ses followers îliens et Belle île a su fédérer une dizaine de pages d’échanges, depuis la plus sage mais utile, le Forum d’information Belle île, jusqu’à la plus impertinente, le Forum Belle île politique. L’ensemble de ces liens diminue la contrainte d’insularité vécue par le passé. Portable, télé, radio, journaux internet : un ancien Président de la République meurt, l’îlien le sait aussi rapidement que le continental. Au contact du monde moderne, l’île s’est profondément modifiée mais a aussi perdu en insularité.
Laboratoire d’idées ?
Face aux îles, les réactions restent ambivalentes : ces terres repoussent par le sentiment de captivité qu’elles suscitent : « moi, vivre dans une île, jamais. Je m’y sentirais enfermé ». L’actualité sanitaire renforce cette impression, puisque être confiné dans une île peut être ressenti comme une double peine. Mais les territoires insulaires attirent par les promesses d’authenticité, des lieux qui ont su conjuguer culture originale et bouleversement du présent. C’est pourquoi les îles, notre île, ne restent nullement des espaces conservatoires figés mais ne doivent pas non plus embrasser béatement les sirènes du modernisme. Le développement d’un seul tourisme friqué, représenté par la mise en place d’une ligne d’hélicoptère ou celle d’un centre de remise en forme dans une forteresse du 17e siècle, s’il peut apparaître comme un apport à court terme, représente un véritable danger. La société îlienne doit y craindre la disparition de sa culture originale reléguée aux vitrines du folklore et la confiscation d’un projet de développement au profit d’une colonie de jet-setteurs considérant l’île comme une cour de récréation. Belle île doit adopter une stratégie de laboratoire de l’innovation, conciliant développement et respect de l’environnement comme de l’humain. Une volonté particulièrement intéressante sur une île, puisqu’il est plus facile d’en contrôler les modes d’actions sur un territoire aux frontières clairement marquées, d’en percevoir les effets et les encouragements liés aux conséquences positives de ces actions et qu’une véritable politique d’innovation apparaît comme exemplaire sur un territoire considéré comme emblématique. Cette politique devrait notamment promouvoir des actions de développement local: agriculture de qualité reposant sur des produits locaux et diminuant l’énorme dépendance alimentaire avec le continent (96% des produits alimentaires consommés sur l’île proviennent du continent), soutien à la pêche locale ou encore développement d’un tourisme vert valorisant les belles richesses de notre environnement. Elle devrait également inventer et promouvoir une véritable transition énergétique, évitant les impasses écologiques récemment érigées telles que le biocarburant ou, si cela se confirme, les véhicules électriques. Un tel développement ne peut se concevoir sans une protection exigeante de l’environnement naturel dont le maintien conditionne la réussite du projet envisagé.
Entre désir d’ouverture et crainte de disparaître, Belle île doit trouver sa voie. Celle d’une ouverture au monde déjà bien réelle, proposant un avenir conjuguant développement et respect des richesses humaines et environnementales. Un moyen de rénover son statut d’île.
Marc Suquet
1 Gerald Musch, 2019. Belle île en Mer au temps de la préhistoire. Biema.
2 Peron F., 2005. https://www.cairn.info/journal-annales-de-geographie-2005-4-page-422.htm
3 Jacques Brel, 1977. Les Marquises
4 Serge Brussolo, écrivain de SF et polar.
On trouvera dans l’article de Jean Pierre Castelain, publié en 2006 dans le numéro spécial de la revue d’Ethnologie française portant sur les îles, des références bibliographiques et de sites internet. Une façon d’entrer dans la nissologie, l’étude des îles et de l’iléité. https://www.cairn.info/revue-ethnologie-francaise-2006-3.htm
L’île comme un territoire fini, berceau d’une utopie réaliste ? Pour Théodore Monod, « l’utopie ce n’est pas l’irréalisable, c’est l’irréalisé » ; pour Luis Borges (qui était aveugle!) elle « ne se voit bien qu’à l’oeil intérieur »…
Sans doute, il va en falloir des grands barbeuqs, des festins « sulaires », des boutins pour fraterniser entre néos (ce que je suis) et insulaires de souche… Peut-être qu’un vecteur de l’avènement de ce « jour d’après » serait aussi de considérer que l’insularité s’acquiert avec la volonté d’agir positivement et collectivement pour le futur de notre île, et non d’une histoire familiale ou de la longueur d’un vécu local…?
Comment concrétiser, au-delà d’échanges dématérialisés, cette utopie fraternelle insulaire, comment s’assurer que ce territoire clos puisse aussi être a l’instar du déconfinement, un modèle vertueux de solidarité ? J’ai déjà bénéficié ici de cette bienveillance particulière, rencontré des « furieux » de l’engagement associatif, bénévole ; je sens grandement que des acteurs de cette utopie fraternelle sont aussi ici… Ou le sont seulement parfois, ou seulement anonymement.
Mon questionnement, naïf mais sincère, est de savoir comment faire pour les assembler pour créer cette connaissance mutuelle… On peut bien sûr s’insérer dans la riche vie associative, mais je parle de fédérer, au-delà de son hameau, de son association, de sa famille, de son groupe d’amis… ? Mais la vertu bien ordonnée commençant par soi, il me convient donc d’ajuster mon propre comportement vis à vis des autres, avant de réclamer des autres… Avant de penser que cela viendra des autres !
Ceux qui me liront auront bien compris que je suis un utopiste, qui place dans le débat mais surtout dans l’exemplarité de la vertu (ou peut-être la vertu de l’exemplarité ?), une foi inébranlable pour changer en adoptant un principe organisé : en commençant par petit (soi), la fraction de l’humanité que l’on connait le mieux. Puis, un peu plus large ( l’île), ce morceau de planète sur laquelle je vis. Et en visant pourquoi pas, très grand (l’humanité). On voit donc bien que ce territoire intermédiaire n’est pas aussi utopique qu’on pourrait le penser… Et tout le moins on conviendra avec Marc que sa taille permet une utopie… Réaliste !